La presse américaine, pourtant habitué à la violence à l'écran, nous avait annoncé que le dernier film de Mel Gibson était le plus violent qui soit, précurseur en quelque sorte d'une violence inouïe à venir sur nos écrans.
Pour avoir vu le film par mes yeux, je suis passablement surpris de toute la réception critique de ce film. De quoi se moque-t-on ? Si vous n'avez pas vu le film, vous imaginez, comme moi avant de l'avoir vu, que les sacrifices humains mayas sont filmés de manière complaisante, avec une caméra sur le manche du couteau qui va se planter dans le coeur ? Vous supputez que les critiques veulent vous dire que cela gicle toutes les deux secondes jusque sur la caméra ? Eh bien, n'imaginez rien, asseyez-vous gentiment dans votre fauteuil de cinéma et goûtez ce superbe péplum précolombien !
Mais alors pourquoi cette surprise des critiques de cinéma, autrement plus habitués par des films tels que Truands, Casino Royale, ou encore Seigneurs de guerre, ou autrefois Prédator à la violence ?
Si ce film leur a paru un sommet du film "barbare", c'est donc logiquement que la violence qui est figurée, - il y en effectivement -, est d'une nature qui les choque et les provoque. Par le truchement de la civilisation maya, Mel Gibson renoue avec la tradition des classiques consistant à mettre en scène son propre temps par l'éloignement dans un autre contexte. Et la violence sale, puante, mafieuse, inhumaine des films à héros cyniques qu'on nous tartine depuis que l'Occident a perdu le sens de l'innocence et de l'espérance en soi, et dont nous n'arrivons plus, par habitude, à repousser l'horreur, devient à nouveau palpable, réalisable, compréhensible, par l'évidence de son implication à tous les niveaux d'une culture qui nous est étrangère, celle des Mayas. En nous obligeant à redécouvrir l'intégralité des composantes structurant une civilisation aussi exotique pour beaucoup d'entre nous, Mel Gibson nous oblige à resituer la violence dans un réseau d'explications culturelles, et du coup à en isoler l'insupportable absurdité.
Pour le reste, une course poursuite digne et splendide à travers la jungle, l'aprentissage du courage et du refus de la peur face au rouleau compresseur des commandos mayas, - entendez face au rouleau compresseur de la majorité armée médiatiquement de nos cultures occidentales -, une extraordinaire volonté de filmer la résistance à une culture puant la mort, pour sauver tout humainement, - tout bêtement, a-t-on envie de dire : mais cela fait du bien de redire des choses si simplement vraies ! - sa femme enceinte restée derrière lui après avoir été razzié dans son village...
Quant à l'immonde et innénarrable camarilla d'ethnologues répugnants et gauchistes qui instrumentalisent des pauvres communautés d'indiens pour contester la réalité historique de ces sacrifices, au nom du fait que les Mayas n'avaient pas une pratique systématique du sacrifice comme les Aztèques, qu'ils aillent lire le scénario, à défaut de vouloir débourser un centime pour voir le film. Celui-ci est simple, et va dans le sens de ce que disent, à ce que j'en sais par des encyclopédies dignes de foi, les historiens, savoir que non seulement les Mayas, avant l'arrivée des Espagnols -époque à laquelle se déroule cette aventure -, avaient presque disparu sous les coups de butoir des Aztèques, mais également pratiquaient le sacrifice humain, avant même l'influence aztèque, en temps de crise grave. Or, c'est précisément le contexte que choisit le film : une grave crise alimentaire qui décide les dirigeants mayas à envoyer leurs fameux commandos de guerriers faire une razzia pour sacrifier au Soleil jusqu'à ce que celui-ci témoigne de sa clémence, - figurée dans le film par une éclipse : elle est le signal auquel le grand prêtre arrête la succession des sacrifices humains. Incorrigible coterie d' "intello" rentiers, subventionnés par l'Etat Chirac à travers le projet idéologique du Musée du Quai Branly. - Musée superbe par ailleurs, mais certainement pas capable de nous faire croire que tout se vaut dans toutes les cultures...
Or, qui sont ces tristes sires qui justifient la civilisation maya au nom du fait que la précision de leur astronomie dépasse le cadre civilisationnel de son utilisation pour une culture de mort ? Les mêmes qui pourraient oser dire dans mille ans que les camps de la mort dans l'Allemagne nazie étaient justifiés par la terrible crise de 1929 et le souci des Aryens de sacrifier au dieu de la brillante culture allemande les parasites juifs ! Ce qu'ils refusent de condamner chez les Mayas, ils refuseront de le condamner demain dans d'autres cultures. Et leur méthode d'investigation ethnocentrée, pour contrer - pourquoi diable ?- l'influence de la culture occidentale sur leurs schémas de pensée, consistant à refuser d'analyser et juger les cultures pré-colombiennes autrement que par leurs propres discours, aboutit au désastre intellectuel de la promotion généralisée de la culture de mort dans nos propres cultures contemporaines. Non, hélas, le nazisme n'a pas le monopole de la barbarie, les conquistadors n'ont pas le monopole de la violence, et oui, des cultures extra-européennes étaient irrécupérables dans leurs mentalités et leurs valeurs les plus profondes.
C'est tout l'intérêt de Mel Gibson,qui s'est entouré de nombre d'historiens et d'Indiens pour réaliser ce film, de nous l'avoir rappelé, en nous montrant aussi que l'amour de la vie n'est pas l'apanage de la religion : il est d'abord cet appel de la conscience qui se loge dans la vie de l'amour, celle du héros, Jaguar Paw, pour sa femme et son futur enfant. La religion peut en être structurante, voire en stabiliser le message. Mais sans l'appel propre de la conscience de chacun, en vain cherchera-t-on à résister à la peur d'être différent des brillantes cultures de mort. Son film dépasse tous les clivages religieux, et va, d'une certaine façon, beaucoup plus loin que La Passion, surtout à une époque où on entend les musulmans se taire sur les violences de leurs éléments extrémistes, et les catholiques se cacher dans les démocraties européennes de peur de sacrifier leur vie pour sauver d'autres vies. Mel Gibson fait partie de ces hommes qui appellent à l' "insurrection de la bonté" de tous les hommes quels qu'ils soient, une insurrection beaucoup plus ambitieuse que celle de ne faire que du social. Car c'est une insurrection où le pouvoir n'a pas de pitié pour les "rebelles", et où on laisse sa peau, - et non plus seulement sa pèlerine.