Anne-Laure a raison de souligner la différence qu'il y a entre imposer des frais de bibliothèque et les proposer de façon délirante et à un public inadapté.
L’aboutissement de la campagne est la nouvelle tombée hier de la démission de tous les directeurs des départements littéraires. Dans la balance, est-ce la démission de l’actuelle directrice qui est posée ?
La décision des directeurs de départements vient après une longue accumulation de griefs dont les motivations sont assez diverses.
Plusieurs points dans cette affaire posent question.
Je vous renvoie sur un blog spécialement consacré à cette crise pour avoir plus de détails :http://bibli-ens.over-blog.net
Il paraît évident que la prise de position de la direction pour les droits d’entrée ne s’est pas faite dans de bonnes conditions, de l’avis même de Monique Canto-Sperber.
En fait, on peut surtout se poser des questions sur l’emploi des fonds destinés à l’ENS.
Je cite le blog : « Les besoins de fonctionnement de la Bibliothèque des Lettres sont estimés à 1,3 millions d’euros annuels.
La politique suivie par les directeurs précédents, était de financer à 93 % la Bibliothèque des Lettres (soit 1,2 millions d’euros) sur la dotation globale de l’École.
Les 7 % restants (environ 100 000 euros) sont financés par le Ministère de tutelle.
L’arrivée de Madame Canto-Sperber à la direction de l’ENS a bouleversé cette politique « traditionnelle ». En s’appuyant sur un rapport de l’Inspection Générale des Finances, que personne n’a pu consulter en dehors de Madame la directrice, pour des raisons inconnues, cette dernière a décidé elle-même de couper la Bibliothèque des Lettres de son financement principal. Désormais, la dotation globale de fonctionnement de l’École ne fournira plus un centime d’euro à la Bibliothèque des Lettres, selon une stratégie déterminée par la directrice.
Que reste-t-il à la Bibliothèque ? Le ministère de tutelle a augmenté sa dotation, en la passant de 100 000 à 400 000 euros, un effort considérable mais malheureusement insuffisant puisque le budget de la bibliothèque a chuté de 1,3 millions d’euros à 400 000 euros, ce qui couvre tout juste les abonnements de la Bibliothèque, mais ne permet plus d’acheter aucune monographie hors des collections suivies. »
Une intervention sur le blog pose le problème dans des termes intéressants à mon avis, en distinguant trois niveaux du débat : la question conjoncturelle de la taxe de bibliothèque, la question semi-conjoncturelle de la gestion du budget de l’ENS, et la question de fond des rapports entre recherche scientifique et recherche littéraire et de l’autonomie de la recherche.
En effet, à ces questions de budget de la bibliothèque s’ajoute que sur le budget du contrat quadriennal de l’ENS, 2 millions d’euros sont alloués aux scientifiques, contre 800 000 euros pour les littéraires. Même si les besoins ne sont pas les mêmes, l’écart est trop sensible pour ne pas être noté.
On voit clairement que la crise dépasse très largement les sombres perspectives de financement de la bibliothèque.
Mais il me semble par ailleurs important de distinguer deux aspects différents dans l’opposition à la directrice. D’une part l’opacité de sa gestion, le déséquilibre dont souffrent une fois de plus les études littéraires, ce qui doit peut être nous amener à nous interroger très sérieusement s’il y a toujours un sens dans ces conditions à croire en la viabilité de la cohabitation entre littéraires et scientifiques à l’ENS, mais d’autre part un certain nombre de choix dont la critique révèle plus une hostilité d’idées que d’une contestation légitime, choix qui reviennent de manière latente d’un message à l’autre, regroupés sous l’expression générique de « politique de prestige. »
Ces choix sont aussi la réponse, nouvelle et inhabituelle, mais néanmoins intéressante, apportée par la directrice à un déficit d’image de l’ENS, qui ne se réduit pas à une question de gloriole, mais a des répercussions sur le domaine scientifique. Nous avions déjà souligné il y a deux ans à RPN combien les conditions de recherche, en lettres spécialement, souffraient des problèmes de fonctionnement de l’ENS, de son manque de lisibilité, fu manque d’estime des élèves pour leur Ecole.
On critique qu’elle ait donné un appartement de fonction à son chauffeur (mais franchement je doute que cela engloutisse toute la dotation de l’ENS !), on n’accepte pas qu’elle ait dépensé de l’énergie et de l’argent pour une exposition comme celle sur Dreyfus quand l’ENS est si dépourvue, sans voir que de tels projets font tout simplement vivre le patrimoine de l’Ecole, la fierté d’elle-même et de ses élèves, et permettent aussi par là d’assurer son avenir ; enfin, quelques piques acerbes à l’encontre de la multiplicité de ses engagements (Public Sénat, Collège de France) contestent son souci de visibilité médiatique.
Au-delà de ses méthodes de gouvernement, c’est son désir de réformer qui est aussi remis en question : ouverture de l’Ecole à d’autres institutions, souci d’en faire parler pour lui faire occuper une place mieux valorisée dans le paysage intellectuel français.
Les attaques dont fait mention Anne-Laure sur Wikipédia montrent bien qu'il y a une volonté à peine dissimulée de "lynchage".
La clôture de la lettre des directeurs de département, soulignant que l’ENS finalement ne fonctionnait pas si mal depuis des années et souffre de ces réformes, est claire sur ce point : cette opposition, si elle repose assurément sur des chefs d’accusation légitimes, peut aussi être la manifestation d’une sclérose d’un milieu qui peine à admettre que l’ENS ne peut continuer comme elle l’a toujours fait.
Qu’en pensez-vous ?