Pour prolonger le débat sur la laïcité

Je vous donne à savourer le texte de présentation d'un séminaire du département de sciences sociales de l'ENS consacré à la laïcité et dont le programme complet est disponible à l'adresse suivante :

http://www.jourdan.ens.fr/%7Efassin/journee%20laicite.htm


En France, le débat récent autour du voile islamique, en prélude à la loi sur les signes religieux ostensibles, posait la laïcité au cœur de l’identité républicaine. On peut donc s’étonner qu’aujourd’hui le centenaire de la loi sur la séparation des églises et de l’état ne suscite pas les mêmes passions. En outre, la médiatisation de la mort du pape et l’interdiction de publicités « sacrilèges », voire la discussion autour du Traité constitutionnel européen, sans aller peut-être jusqu’à ressusciter l’image de la France, fille aînée de l’église, ne témoignent-elles pas d’une perte de la vigilance laïque ?



Cette journée d’études a pour vocation d’interroger l’actualité de la laïcité, en conjuguant trois questions :

_Dans quelle mesure assiste-t-on en France, du catholicisme en 1905 à l’islam en 2005, à un élargissement ou bien plutôt à un déplacement de la question laïque ?

_Si cette question a surtout été pensée à partir de l’histoire nationale, ne convient-il pas aujourd’hui d’élargir la perspective pour penser la laïcité (et ses ennemis) à l’échelle européenne et mondiale ?

_La commémoration de 1905 doit-elle nous conduire à retrouver la laïcité dans son sens originel, ou bien au contraire à historiciser sa définition, pour prendre en compte, au-delà des seules religions, l’ensemble des figures de la transcendance – avec par exemple l’invocation de l’ordre symbolique pour arracher la définition des normes sociales à l’histoire et à la politique ?


Cette journée réunira historiens, juristes, philosophes et sociologues pour traiter l’actualité de la laïcité, autrement dit, pour aborder la commémoration à partir du présent, et non du passé.

Il est assez extraordinaire de constater à quel point le laïcisme dont parlait Jean Sévillia à la conférence du 26 octobre est encore extrêmement vivace ! Nous avons ici la preuve que la laïcité n'en a pas fini avec la religion catholique : le programme détaillé comprend deux interventions consacrées au catholicisme contre une seule traitant explicitement de l'islam. Ainsi nous savons déjà la réponse que ces esprits éclairés apporteront à coup sûr à leur première question rhétorique : "non, il n'y a pas d'élargissement de la question laïque". Tout au plus une actualisation contextuelle mais l'essentiel demeure : l'Infâme c'est toujours la religion catholique et romaine ! Ouf, on avait eu peur !

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la rhétorique employée dans la deuxième question rapelle furieusement la théorie du complot et de l'ennemi masqué. Complot qui devient, notons-le, mondial, tant il est vrai que les animistes bantous contribuent, à un degré moindre il est vrai mais néanmoins significatif, à saper sournoisement les bases du grand laïcisme universel !
On croit rêver, et pourtant non ! C'est réel et ça arrive près de chez vous le 25 novembre.
J'ajoute que ce discours considérablement daté, relent de logorrhée républicaine radicale façon 1900, me fait fortement douter de l'affirmation des organisateurs dudit séminaire selon laquelle il s'agit d' "aborder la commémoration à partir du présent, et non du passé".
Par ailleurs, je trouve tellement touchant de vouloir "élargir la perspective pour penser la laïcité (et ses ennemis) à l’échelle européenne et mondiale" quand n'importe quel esprit un tant soit peu objectif sait que la laïcité est une exception purement franco-française, que le mot lui-même (je ne parle même pas du concept !) n'existe qu'en français et que l'importance du phénomène religieux dans la vie sociale, est une tendance qui a généralement constitué la règle dans l'histoire de l'humanité et qui prévaut encore globalement aujourd'hui.

Quant à la troisième question, je crois que c'est vraiment ma préférée...
D'abord parce que l'objectif d' "arracher la production des normes sociales à l'histoire et à la politique" dégage un petit fumet d'anarchisme particulièrement savoureux. On est en plein dans "ni dieu ni maître", non ? Je me trompe pas ?
Ensuite parce je trouve tellement fabuleux que des esprits passant leur temps à se réclamer des Lumières puissent faire preuve d'un tel aveuglement sur leur propre pensée ! Voila des gens qui se proposent d'étendre le concept de laïcité à toute transcendance, eux qui ne jurent que par la Raison ! Voila des républicains prêts à rejeter toute "invocation de l'ordre symbolique", eux qui refusent que les femmes soient voilées parce que Marianne ne l'est pas ! Et que lit-on au début de cette déclaration ? Que la laïcité est "au coeur de l'identité républicaine". Soit ! Mais si là, rien que dans la formulation, on n'est pas déjà dans l'ordre symbolique, alors je veux bien qu'on me le montre ce "coeur de l'identité républicaine" !
Incroyable ! Alors qu'en ce moment même, dans les banlieues en flamme, ce sont bel et bien les symboles de l'Etat et de la République qui sont attaqués et que ce sont au contraire les responsables musulmans qui semblent y être le plus à même de faire revenir l'ordre, on continue à nous expliquer que la République laïque est toute puissante et que la religion n'a rien à faire dans l'ordre social ! Mais les faits indiquent le contraire ! On peut le déplorer, si on veut, mais il faudrait tout de même arrêter de nier la réalité de manière aussi scandaleuse !

De la part de membres du Réseau Voltaire, ce genre de discours ne m'aurait pas choqué, tant il m'aurait semblé attendu. Mais le véritable scandale, c'est qu'il s'agit là d'un séminaire scientifique, organisé à l'ENS, par des chercheurs dits en sciences sociales ! Au vu du degré d'imprégnation idéologique de leur discours censé être scientifique, on est en droit d'avoir peur, surtout quand on mesure la place démesurée que les sciences sociales se voient accordée de nos jours, tant dans le discours scientifique que dans les analyses politiques !

Après 100 ans de séparation des églises et de l'Etat, après le ralliement définitif des catholiques au régime républicain et la normalisation des relations de celui-ci avec l'Eglise, après toutes les nouvelles questions soulevées par la place grandissante de l'islam dans la société française, après les débats européens sur les bases de la construction européenne, on était vraiment en droit d'attendre autre chose que cette vision passéiste des rapports entre le politique et le religieux !

A cet égard, je considère que l'approche reflexive de Respublica Nova, tant lors de la conférence que dans la revue, est infiniment plus pertinente que le discours de ces esprits figés dans leur contemplation du nombril défraîchi de leur idole centenaire.


Voilà, cela devait être dit !


PS : Je pense très sérieusement que je vais m'inviter à ce séminaire. Qui m'aime me suive !

je serais à peu près d'accord avec tout sauf ça:

Popov a écrit:

A cet égard, je considère que l'approche reflexive de Respublica Nova, tant lors de la conférence que dans la revue, est infiniment plus pertinente que le discours de ces esprits figés dans leur contemplation du nombril défraîchi de leur idole centenaire.

que je mets en perspective avec ça:

Popov a écrit:

Mais d'une part, cela ne signifie (peut-être) pas nécessairement que toute tentative d'organisation institutionnelle soit par essence contraire à l'islam ;

pour dire ceci: ce que je voulais dénoncer avant tout, c'était cette institutionalisation telle qu'on la voit, qui doit conduire ds un 2e tps à examiner avec précaution l'idée même d'institutionalisation.
De plus, "s'ouvrir à la culture d'autrui" ( et stt s'en vanter ostensiblement) en invitant une institution dont le dirigeant D. Boubakeur a été caillassé lors de sa visite à Clichy-sous-Bois, n'est-ce pas inquiétant pour l'avenir de la cohesion de la Fce? Pourquoi la chaleur de l'acceuil qu'il a reçu dans le 93 est-elle inversement proportionnelle à celle qu'il a eu au 45 rue d'Ulm? Est-ce parce que les 1ers sont des sauvageons et les 2nds des gens cultivés ou bien parce que les 1ers sont lucides et les 2nds ghettoisés intellectuellt?
Si l'opinion fcaise savait à quel point ce monsieur est impopulaire, le débat ne progresserait-il pas + vite? Ferait-on valoir ses arguments avec des cailloux? Sarkozy aurait-il osé l'envoyer là-bas?

Bref, cette séance n'a-t-elle pas tourné à vide sur cet aspect?( je mets à part Seguila et Mgr)

Je me permets de poster un extrait du journal l'Humanité - vous savez, celui qui a été fondé par le grand Jaurès. (pour ceux qui ne seraient pas abonnés.)
Cela permettrait de compléter ces réflexions.
En khâgne classique, M. Pena-R était l'un de mes deux vénérés professeurs de philosophie. Son cheval de bataille (son dada), c'est la laïcité...
Voici.


Evénement
« La laïcité n'est pas une vieille lune »

Pour le philosophe Henri Pena-Ruiz, professeur en khâgne, à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et membre de la commission Stasi, l'État devrait s'attacher à promouvoir le volet social de la laïcité.


L'Humanité: Trouvez-vous l'État trop discret au regard de la profusion d'initiatives célébrant l'anniversaire de la loi de 1905 de la part d'associations, de syndicats ou de municipalités ?

Henri Pena-Ruiz (1): Je constate effectivement une certaine discrétion et une énorme ambiguïté de la part du gouvernement. Nous voilà à l'opposé de ce que préconise un Nicolas Sarkozy qui propose de revenir à l'époque du Concordat, est partisan d'un État ultralibéral, veut détruire tout ce qui ressemble à un service public, et qui trouve en même temps de l'argent pour financer les cultes! Il me semble qu'avoir une vision généreuse de la laïcité, consiste à considérer que la mission majeure de l'État républicain, laïc et social, c'est de promouvoir ce qui est commun à tous, de faire passer l'universel avant le particulier.

(...) Dans le système capitaliste, la religion est un appui des gouvernants, un supplément d'âme destiné à panser les plaies..

Alexis a écrit:

(...) Dans le système capitaliste, la religion est un appui des gouvernants, un supplément d'âme destiné à panser les plaies..

Etrange vision de la religion qui exhale les senteurs d'un poussiereux marxisme...

Si son analyse du "paradoxe Sarkozy" ne manque pas d'intérêt, elle est minée par un jargon caricatural et anachronique. Triste sort de certaines prépas de conserver en leur sein de vieux pontifes engoncés dans des principes d'un autre âge !

La vision qu'a Sarkozy de la religion est très marxienne, en tout cas : on dirait vraiment qu'il l'aime en tant qu'opium du peuple.