Quand le Québec a des débats qui devraient nous intéresser

Très bel article de Jacques Rouillard et Robert Comeau, tous deux professeurs d'histoire québecoise respectivement à l'université de Montréal et à l'université du Québec à Montréal, dans Le Devoir.

Quelques extraits :

Citation :

L'an dernier, le ministère de l'Éducation a dû réviser sa proposition de programme d'histoire du Canada et du Québec destiné aux étudiants de niveau secondaire devant le tollé suscité par un projet qui minimisait les conflits et noyait l'identité francophone. Cette représentation postnationale de l'histoire est influencée par la tendance chez les historiens de profession dans les universités à discréditer l'histoire politique depuis les années 70 au profit de l'histoire sociale.

Citation :

C'est que le Québec a été touché par l'historiographie française qui, depuis les années 1930, discrédite l'histoire politique parce que trop événementielle et manquant d'analyse.

Citation :

L'examen de la dimension politique de notre histoire est d'autant plus utile pour nous, francophones, colonisés dans l'Empire britannique et minorité à l'intérieur du Canada, que c'est à travers nos institutions politiques que le combat pour notre survie s'est affirmé avec force. Cette question est plus que jamais d'actualité compte tenu du souci d'affirmation du Québec sur la scène internationale et de la faveur dont le projet indépendantiste jouit dans la population.

Citation :

Dans deux concours récents au département d'histoire de l'Université de Montréal visant à remplacer un professeur spécialisé en histoire politique du Québec qui a pris sa retraite, la plupart des historiens versés en histoire du Québec ont refusé d'embaucher un spécialiste en histoire des études internationales du Canada-Québec malgré le dossier exceptionnel des candidats. Dans un premier concours, ils lui ont préféré l'engagement d'une sociologue sans aucune formation historique et n'ayant jamais suivi un cours d'histoire canadienne. Dans un deuxième concours, comme moindre mal, ils se sont tournés vers l'embauche d'un européaniste spécialisé en études internationales.

Citation :

Le refoulement de l'histoire politique a quelque chose de paradoxal au moment où l'État joue un rôle de plus en plus important depuis la Révolution tranquille. Et c'est encore plus étonnant de nos jours car les Québécois sont à un carrefour quant à leur avenir politique et réclament une identité nationale propre.

Plusieurs enseignements stimulants :
- il n'y a pas de communauté politique sans histoire : nous le savions, mais nous l'avons aussi oublié en France. Comprenez : si vous apprenez l'histoire, vous devenez patriote, quelle honte !
- l'histoire politique pousse par essence à l'action, elle est la reine des sciences humaines : c'est pourquoi elle est un enjeu énorme pour les gouvernements en place. Diluez ou orientez l'histoire politique : vous maîtriserez vos citoyens.
- le Québec est un pays francophone développé où l'on pense librement
- la France a beaucoup à apprendre des débats identitaires québécois, et doit s'intéresser maintenant plus que jamais, à l'heure où le français recule partout dans le monde sauf ici, où il est en passe même de friser l'indépendance politique. Pourquoi diable n'arrivons-nous pas à puiser dans notre grande tradition nationale d'histoire politique, pour jeter un pont par-dessus l'Atlantique et retrouver les mots de De Gaulle ? Sait-on seulement ce que signifierait une grande tâche bleue française en Amérique du Nord, lors des négociations internationales, avec l'influence culturelle et la résistance rodée des Québécois aux portes des Etats-Unis ? Je ne comprends toujours pas pourquoi on se refuse à voir l'enjeu géopolitique majeur du Québec.

Le Québec est d'actualité aujourd'hui ! Ce que certains estiment être une "bourde" de Ségolène Royal s'inscrit à la fois dans la continuité de la position de la France, et à la fois poursuit une tradition légitime de défense de la francophonie et du fleuron mondial de l'OIF.

Je suis scandalisé que sur une question aussi consensuelle, on trouve des gens de l'UMP pour critiquer électoralement les propos de Ségolène Royal, en se réfugiant dans leur politique timorée de chefs d'Etat franco-français sans aucune vision planétaire de la culture française. Mais comme la culture française, c'est bien ce qui manque à la machine politicienne UMP, il ne faut pas trop en demander.